Dans cette lettre datée de 1989, alors que sa maladie ne cesse d’avancer, Chiara Luce écrit à ses amies pour leur raconter les dernières nouvelles. Le style plein de fraîcheur d’une jeune fille de dix-huit ans, qui communique avec simplicité comment sa vie a “radicalement changé”.
Très chère Daniela,
Ciao! Oui, c’est bien moi! Enfin je t’écris! Comme je te l’ai déjà expliqué, la raison pour laquelle je t’envoie cette lettre est très, très hypocrite: en effet, il faut que je “liquide” tout le papier à lettres qu’on m’a offert pour mes 18 ans. Blague à part, je suis très heureuse de t’écrire, comme ça, je peux te parler un peu de moi!
Depuis que mes jambes se sont mises à faire les “folles”, ma vie, comme tu peux t’en douter, a radicalement changé, mais je ne me plains pas, parce que je sais qu’il y a plus malade que moi, et puis, je vis dans une famille merveilleuse. En plus, tous mes amis viennent souvent me voir ou me téléphonent (imagine, Giuliano m’appelle tous les soirs). Ça me rend heureuse et le temps passe très vite.
Avec L., on est restés très amis… Je suis heureuse que ça se soit terminé comme ça, parce que, surtout maintenant, je sens plus profondément l’importance d’une amitié vraie! Et maintenant, j’arrête les “confessions” (ça n’a jamais été mon fort). Et toi? Qu’est-ce que tu deviens? On m’a parlé d’histoires passionnées et déchirantes qui ont fini tristement (tant mieux…), d’amitiés perdues sans regrets et d’“acculturations” avec des petits morveux… Tu t’éclates, quoi!
Allez, je te salue et réponds-moi please. Ah, j’oubliais: j’ai recopié une poésie que j’ai lue dans un livre et qui m’a bien plu:
«La plus belle de nos mers/est celle sur laquelle nous n’avons pas navigué./Le plus beau de nos enfants/est celui qui n’a pas encore grandi./Les plus beaux de nos jours/nous ne les avons pas encore vécus./Et ce que je voudrais te dire de plus beau/ je ne te l’ai pas encore dit!» Nazim Hikmet (poète turc). Si tu penses que ça vaut la peine de faire lire cette lettre à D. et à A., ces messages sont pour elles:
— pour D.: je t’en prie, n’étudie pas trop et ne pense pas à tes nombreux grands amours
— pour A.: j’espère que tu es en train de revenir sur le droit chemin, ma fille, et que tu ne le quitteras plus en pensant à des amours un peu trop mûrs et je dirais presque pourris
Votre Chiara qui vous salue bien
Sassello 1989
Extrait de: «Io ho tutto». I 18 anni di Chiara Luce – par Michele Zanzucchi – Città Nuova editrice 2010